Yves Piquot, écologue et maître de conférences à l’Université de Lille Unité Évolution, Écologie et Paléontologie, et partenaire du projet Nature 2050 du Pré-Verger de Bugnicourt (59)
Quels sont les enjeux propres au territoire et au projet du pré-verger Bugnicourt (59) ?
Le projet se situe dans le département du Nord, en Région Hauts de France au sein de la Communauté d’Agglomération du Douaisis, qui est caractérisée par une matrice d’agro-industries mais aussi parsemée de quelques ilots écologiquement intéressants (vallées humides, boisements, friches industrielles renaturalisées). Ici, il n’y a pas d’espèces particulièrement rares. L’enjeu est plutôt de développer et promouvoir la biodiversité ordinaire, aujourd’hui malmenée sur le secteur de Douaisis comme sur le reste du territoire national.
Le projet d’environ 6000 m2 sur lequel nous travaillons est localisé dans le village de Bugnicourt sur une des réserves foncières d’Habitat du Nord. Le terrain étant assez pauvre sur le plan de la biodiversité, l’enjeu du projet est de restaurer cette parcelle. Pour cela, les partenaires du projet ont travaillé ensemble à la création d’un pré-verger, plantés d’arbres et d’arbustes fruitiers d’origine locale et au renforcement des haies bocagères. Avec mes étudiants, nous intervenons pour renforcer les actions, revoir des éléments du plan de gestion pour atteindre un réel gain de biodiversité
En tant que partenaire, quelles actions avez-vous mis en place sur ce projet soutenu par Nature 2050 ?
Étant spécialiste des interactions entre les plantes et les pollinisateurs sauvages mais aussi responsable d’un master 2 d’expertise naturaliste et de gestion de la biodiversité, j’encadre depuis 15 ans des promotions de futurs ingénieurs écologues et naturalistes. C’est à ce titre que j’ai été sollicité pour participer à la conception du plan de gestion du pré-verger. Nous avons donc établi un partenariat à visée technique et pédagogique.
Lorsque nous sommes arrivés sur le site avec les étudiants, une grande partie des travaux avaient déjà été réalisée : les clôtures étaient installées, les fruitiers arbustifs et de hauts jets avaient été plantés. Avec l’appui des élèves nous avons articulé nos actions autour de la rédaction d’un plan de gestion permettant la création d’habitats favorables pour les pollinisateurs et la petite faune de vertébrés (chauves-souris, hérissons, oiseaux etc.) dans un contexte périurbain. Nous allons créer des sites de reproduction pour les abeilles sauvages (par l’aménagement d’une sablière et d’un vieux mur), semer une prairie fleurie avec des espèces sauvages locales, densifier la haie, qui limite le pré-verger mais aussi engager des actions de sensibilisation auprès des habitants du territoire.
Quels changements pensez-vous constater à travers la mise en œuvre de vos actions ?
Sur le site de Bugnicourt il est un peu tôt pour parler d’une évolution significative mais l’été prochain on aura surement un état des lieux plus complet. La plantation de fruitiers et la prairie fleurie va attirer une grande diversité d’espèces pollinisatrices et on peut espérer un renforcement important des populations d’abeilles, de syrphes et de papillons à moyen et long terme. On peut espérer avoir facilement entre 50 et 100 espèces d’abeilles différentes sur le site. L’idée est aussi de mettre en avant le lien fort existant entre pollinisateurs et production fruitière. En effet, les abeilles domestiques ne suffisent pas pour la pollinisation et il faut en moyenne entre 4 et 5 espèces différentes pour assurer un très bon rendement de fructification des arbres fruitiers.
Il y a donc un réel enjeu à promouvoir ces pratiques et à faire évoluer la perception des gens sur cette biodiversité ordinaire. Il s’agit aussi de montrer à la jeune génération qu’en travaillant sur ce type de petites parcelles, de friches ou délaissés urbains, on peut avoir un gain de biodiversité impressionnant par des aménagements relativement simples et peu couteux. On espère donc que ce lieu destiné au public et les actions de sensibilisations menées, permettront d’inspirer les autres municipalités, ou même chaque citoyen qui possède son petit bout de jardin et souhaite le gérer durablement.